« L’insécurité psychologique se manifeste d’abord par la peur d’être arrêté et expulsé ou enfermé dans un centre de rétention, d’où la prudence des mouvements. Un Camerounais nous a dit : « Je limite mes déplacements et j’essaie de ne pas faire de choses illégales ». Un second ajoute : « Lorsque je vois la police, je m’éclipse ». Un troisième remarque : « Il faut savoir où mettre les pieds, tu n’es pas dans ton pays ».

Ensuite, le malaise psychologique se manifeste dans l’obligation de s’associer, malgré soi, aux malversations de l’employeur pour échapper au contrôle administratif. Un de ces travailleurs nous dit : « Apprenant l’arrivée d’un inspecteur du travail sur le lieu, l’employeur [un hôtelier] nous fait sortir [12 travailleurs subsahariens] par la porte arrière de la cuisine ». Aucun d’entre eux n’a osé le dénoncer.

Les migrants irréguliers sont recrutés par des employeurs rompus à la transgression de la norme. Ils utilisent les procédés du travail forcé, particulièrement avec les travailleurs domestiques. Sans être nécessairement claustrophobes, ces femmes, enfermées entre les murs et privées de leurs documents, développent des sentiments d’anxiété qui peuvent dégénérer en troubles psychosomatiques. Ici, le travail, comme le signale Guillevic (1991 : 14), retrouve son sens étymologique, du mot latin tripalium, instrument de torture à trois pieux.

Victimes d’une action de traite pratiquée par des réseaux de trafic humain, de nombreuses filles subsahariennes se font « recruter » en payant aux intermédiaires des commissions dont la valeur varie entre 600 et 1 200 euros, souvent collectés par les membres de la famille. Dès leur arrivée, on leur retire leur passeport et elles sont dans les maisons des employeurs. Elles doivent travailler, leur dit-on, six mois sans salaire pour rembourser les frais du voyage avancés par les familles.

Après l’expiration du délai de six mois, elles peuvent loger ailleurs, mais une partie du salaire est toujours retenue et reportée pour le mois prochain, pour les dissuader d’abandonner le travail. Tout effort déployé pour les aider à se libérer de la séquestration est vigoureusement combattu. À l’exception des employées de maison, le retrait des documents d’identité n’est pas systématique, mais pratiqué souvent avec des employés subsahariens dans d’autres secteurs, particulièrement dans les fermes. »

Les travailleurs migrants subsahariens en Tunisie face aux restrictions législatives sur l’emploi des étrangers, Mustapha Nasraoui

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